Liberté/libéralisme : quelles voix ?

img_2852Que m’inspirent la montée en puissance de la dictature turque, la volonté occulte de l’État français de ficher l’ensemble des citoyens, l’élection états-unienne ? Franchement ? Un désarroi, directement lié à ce sentiment profond de perte de liberté. De perte de l’existence-même de liberté. Je choisis de m’arrêter au cas des États-Unis d’Amérique. Les films, les discours, les médias, leur attribuent volontiers la terminologie « pays de la liberté ». J’ai beau chercher, ma représentation n’est pas la même : je vois un libéralisme extrême et des murs réels et symboliques. Ce qui me saute aux yeux : un système sophistiqué basé sur la montée en puissance du tout sécuritaire, guerrier, nationaliste, raciste, sexiste. Et depuis quelques années, « contre les élites ». Comme un peu partout en Occident, on assiste à une négation du politique, à un endoctrinement idéologique des populations, sous prétexte de répondre à la « volonté générale », celle d’un soi-disant peuple, dont on ne connaît ni les contours, ni la définition. Cette fascination pour la privatisation du politique ressemble comme deux gouttes d’eau à la philosophie mafieuse : un entre soi, pour le moins malhonnête, pour ne pas dire criminel, qui va décider du bien commun de tous. L’histoire se répète tout en se perfectionnant.

Alors, je me pose quelques questions. Peut-on sous-traiter sa liberté propre au nom de la liberté du peuple ? Autrement dit, à partir du moment où on confie sa voix à celui qui dit représenter le peuple, ne se soumet-on pas à la harangue démagogique ? Sous-traiter sa liberté n’est-ce pas renoncer à agir ? Dans l’histoire spécifique des États-Unis d’Amérique, la liberté a toujours été définie par le libéralisme et ne vaut que pour l’homme blanc propriétaire. On assiste ainsi et depuis des siècles et sans mot dire à un contresens du mot minorité : les noirs, les latinos, les femmes, les LGBT, etc. Or, le vieux mâle blanc riche (VMBR) – on pourrait aisément y adjoindre le jeune mâle blanc riche (mon regard se tourne vers les propriétaires des entreprises propriétaires des logiciels informatiques) –, le VMBR donc, être se revendiquant supérieur, de fait inégal, et s’arrogeant le droit d’accorder aux Autres une liberté mais pas la leur propre, constitue, avec les siens – sa famille –, la réelle minorité. Il alimente le pouvoir d’entériner et de nourrir une antinomie entre liberté individuelle et liberté souveraine. Et l’inverse n’est pas vrai : la jeune noire lesbienne pauvre (concept incluant tous les dominés) peut être révoltée contre ce VMBR, peut exprimer une forme de résistance passive, peut éventuellement devenir violente, peut se poser en réaction, mais ne peut pas lui imposer ou même afficher une forme de liberté. La sienne. Ce concept, l’idée-même de liberté, est désormais enfouie, rendue caduque par l’arsenal sécuritaire raciste sexiste libéral, lui-même renforcé par l’appareillage numérique : contrôle, brouillage épistémique, occidentalisation des pensées, des moyens et usages. La liberté est devenue un luxe occidental, donnée en pâture comme telle.

Pourtant, à y regarder de plus près, si on s’accorde une minute pour y penser, la liberté demeure entre les mains de chacun d’entre nous, qui n’avons pas la parole, si nous décidons de faire entendre notre voix, de façon non préméditée, spontanée, sans intermédiaire, sans porte-parole, sans substitut, sans attendre qu’on nous donne cette parole. Il s’agit de révéler son réel quotidien, et en particulier l’intime versus le public, c’est-à-dire ce qui est autorisé à être vu, entendu, lu. Parler de sexualité, de ses luttes contre les violences banalisées, de sa façon de gérer l’urgence accélérée de son vécu quotidien, donner à entendre ce langage du réel, devient la seule subversion possible à cet engrenage totalitaire. Au plus vite, n’importe où.

Joelle Palmieri
12 novembre 2016

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