Brutalité, violence, où est l’erreur ?

IMG_6417Nième « drame familial » en France, « marave challenge » à Metz, « passage à tabac des forces de police » à Champigny-sur-Marne,… les manifestations de « violence » du mois de décembre 2017 ont confirmé la tendance nationale. On constate le renforcement de la brutalité humaine, la banalisation de la violence, en particulier celle liée au sexisme et au racisme. Mais ne sommes-nous pas témoins d’une confusion entre violence et brutalité ?

Revenons un moment sur les faits. Le « marave challenge » consiste à attaquer physiquement en bandes (de garçons) un individu (mineur) choisi au hasard dans l’enceinte de son lycée dans le but d’obtenir une récompense de 10 euros si la victime est un garçon et de 30 euros si la victime est une fille, le tout en filmant la scène. Sexiste par essence (gain augmenté si la cible est un être humain de sexe féminin), raciste parfois, le jeu a fait trois victimes à Metz mi-décembre. Il s’est organisé sur Facebook à l’image du Knockgout game directement importé des États-Unis.

Dimanche 31 décembre, dans un hangar de Champigny-sur-Marne dans le Val-de-Marne, des « jeunes » rejoignent une soirée FaceBlack organisée sur Facebook par un particulier. La promotion de la soirée est également assurée sur Snapchat, le tout avec « galanterie » : les filles doivent s’acquitter de la somme de cinq euros alors que pour les garçons, le ticket d’entrée est trois fois plus cher : quinze euros. Après minuit, le tarif est encore plus cher : vingt euros. Injuste, selon les participants. Certains essaient de frauder, les vigiles répriment, le propriétaire appelle la police. Deux agents interviennent dont une femme « passée à tabac ». La scène est filmée. L’État et de nombreux personnages de droite réagissent en demandant davantage de répression dans les « quartiers ». Le sexisme joue ici dans trois cours : l’État en situation d’« urgence », les organisateurs pro-répression et les participants revanchards.

Lundi 25 décembre à Toulon dans le Var, lors du repas de Noël, une femme âgée de 41 ans est poignardée à l’abdomen par son mari, âgé de 43 ans et ancien militaire, en présence de leurs enfants âgés de 9, 14 et 15 ans. Ils sont blessés et leur mère meurt durant son transport à l’hôpital. 128e cas de meurtre ciblé de femme par son compagnon en France, dixième dans le Var, depuis le début de l’année. Dans la nuit de vendredi à samedi 30 décembre à Montreuil-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, une autre femme âgée de 32 ans meurt après une chute du 4e étage poussée dans le vide par son mari âgé de 50 ans, ce qui amène le chiffre annuel des féminicides en France à 130, soit plus d’une femme tous les trois jours. Le sexisme est ici central. Une circonstance aggravante.

Dans tous les cas, sauf celui des féminicides, l’instrumentalisation des événements par le gouvernement ou par différents politiciens est à l’œuvre dans le but de légitimer davantage de répression et de militarisation : mise en place de polices municipales, augmentation des forces de sécurité… Les avancées réactionnaires se confirment. L’impunité des féminicides, de plus en plus nombreux, leur ignorance institutionnelle (pas de reconnaissance pénale), y contribue également, les femmes victimes n’étant pas considérées comme délibérément ciblées, c’est-à-dire toujours pas sujets, versus objets, de nos sociétés. L’épisode Ménard, et ses affiches pro-assassinats de femmes diffusées dans tout Béziers, le traduit aisément et témoigne des racines fascistes de cette réaction organisée.

Une fois encore – l’histoire se répète –, on assiste à la mise en scène d’une manipulation d’importance : celle qui consiste à confondre brutalité et violence. Le système qui régit nos relations sociales est brutal. Loin des « bavures » et autres « incidents de parcours », « drames familiaux », « faits divers » ou « cas particuliers », la brutalité s’exprime dans la financiarisation des sociétés, l’accélération de la misère, l’excès des injustices et inégalités, la surenchère de l’individuel sur le collectif, le renforcement de la colonialité, et structure les interventions policières ou militaires pour mieux restreindre les libertés et dissoudre la rébellion et ses propres formes de violence. Or, c’est ce mot « brutal », associé à « violence », qui est systématiquement accolé aux actes de ces garçons, des cités entre autres, qui disent vouloir exprimer leur liberté, alors que ce mot, brutalité, est omis lorsqu’il s’agit d’hommes qui assassinent des femmes qui les rejettent.

En raison de ce silence et de cette confusion épistémique (hiérarchisée de pensée) entre brutalité et violence, on assiste à une disqualification/mystification de la violence. Si bien que ces jeunes hommes expriment à leur tour de la réaction : élitisme, virilisme, sexisme, racisme, xénophobie. La brutalité devient en effet le seul mode de socialisation des jeunes générations dans les quartiers ou zones excentrées, à défaut d’une violence rebelle et collective, comme celle des Blacks Panthers par exemple. De par leur rôle social alloué, ces jeunes, et en particulier les jeunes garçons, reproduisent ainsi à l’identique les modes d’oppression et d’aliénation de leurs oppresseurs et utilisent leurs vecteurs de communication (Facebook, Snapchat, jeux vidéo…), car ils ne connaissent rien d’autre, qu’ils en héritent et qu’aucun imaginaire alternatif n’existe publiquement.

Au final, la brutalité épistémique qui se manifeste aujourd’hui rend compte de la juxtaposition de la guerre et du libéralisme, telle qu’elle est exhortée et exportée par les dirigeants des États-Unis (notamment par les réseaux sociaux numériques, les jeux vidéo et les médias). L’humanité, comme l’humanisme, en prend un sacré coup. Alors rétablissons au moins notre liberté d’usage des mots, de leurs nuances, et des imaginaires qu’ils peuvent produire.

Joelle Palmieri
4 janvier 2018

5 réflexions au sujet de « Brutalité, violence, où est l’erreur ? »

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