SNU : l’autoroute électoral du pouvoir politique

Lancée le dimanche 16 juin 2019, une édition « expérimentale » du Service national universel (SNU), pilotée par le secrétaire d’État en charge de la jeunesse auprès du ministre de l’Éducation nationale (EN), Gabriel Attal, a duré douze jours. Le gouvernement se défend à grands renforts de médias d’instaurer une nouvelle formule de service militaire (suspendu en 1997), préférant une « ouverture sur la chose militaire » sous une forme « civique ». Il évoque volontiers un souci de « patriotisme ».

Certains militaires quant à eux regrettent l’absence d’un véritable « service rendu à la Nation » ou « retour sur investissement » et voient davantage dans ce dispositif des « colonies de vacances » aux frais de l’État. En tout état de cause, le rapport du général Daniel Ménaouine, directeur du service national et de la jeunesse du ministère des Armées mandaté par le Président de la République pour la mise en place de cette énième formule proposée aux « jeunes », est clair : « …chaque génération doit, autour de sa majorité, prendre conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et s’approprier les moyens d’en comprendre les outils et de discerner le rôle que chacun peut y jouer ».

Il est bien question de défense et de sécurité de la Nation contre différentes catastrophes ; le terrorisme et la dégradation de l’environnement sont cités. Le premier lot s’opère de longue date par les armes au sein des corps militaires et policiers. Le deuxième s’invite désormais largement dans le débat public, s’incruste de fait et notamment par les jeunes femmes dans la définition de « l’unité nationale » et fait entrer les partis politiques en confrontation quant aux choix opérationnels, politiques ou financiers à mobiliser.

Attal précise l’option européenne : « il s’agit d’effectuer une sensibilisation approfondie par des personnels compétents en matière de défense et de sécurité nationales et européennes : connaissance des menaces, moyens et organisations pour y remédier, présentation des différentes formes d’engagement relevant de la sphère de la sécurité ». Le projet se veut européen – ce qui est nommé « universel » versus égalitaire pour toutes et tous – voire préfigure la création d’une armée européenne à laquelle le Président tient.

Le SNU entend en effet se distinguer des expériences des autres pays européens en cela qu’il inclut une conscription obligatoire. Le service civique ou le corps européen de solidarité (CES), même s’ils restent critiquables notamment en raison de la précarisation des personnes ciblées, sont moins couteux et visent une éducation citoyenne par l’intermédiaire de missions bénévoles de deux à douze mois dans des organismes non militaires (associations, ONG, collectivités territoriales, établissements ou d’organismes publics à but non lucratif), pouvant être effectuées dans d’autres pays de l’UE ou candidats à son adhésion. Ils s’adressent respectivement à des jeunes de 16 à 25 ans et de 18 à 30 ans qui sont pris en charge et reçoivent selon les pays une « indemnité » plus ou moins conséquente, ou un « argent de poche », cumulable pour le CES avec d’autres dont l’ARE (Allocation d’aide au retour à l’emploi), le RSA, l’AAH (Allocation adulte handicapé), la bourse étudiante.

Les objectifs du SNU ne s’arrêtent alors pas à la militarisation des sociétés. Ce dispositif est également à mettre en perspective avec la joute poursuivie lors des élections européennes de cette annéecontre le Rassemblement national (ex-FN) et les écologistes. L’objectif est d’assurer la libéralisation économique d’une Europeen cours d’appropriation nationaliste et populiste ou écologiste tout en valorisant l’ordre, la discipline, la morale (judéo-chrétienne) et la hiérarchie (culture de guerre et de domination). À ces fins, il s’agit de continuer à renforcer la sécurité – stigmatisation des jeunes « isolés » ou en difficulté scolaire (banlieue, racisés, pauvres), lutte contre la radicalisation islamiste de certains d’entre eux, discrimination/mode de repérage des rebelles, des radicaux, des antisystèmes–, de consolider la défense (augmentation dissimulée du budget et croissance des ventes d’armes) et de peaufiner les stratégies d’exclusion (lutte contre la « crise migratoire »).

Les « volontaires » d’aujourd’hui et les conscrits de demain ont tous la nationalité française et beaucoup seront en âge de voter aux municipales (2020) ; ils le seront pour sûr au moment des régionales et départementales (2021), des présidentielles et législatives (2022) et des européennes (2024). L’enjeu électoral est de taille. Compte-tenu des résultats obtenus lors des précédentes éditions par le parti au pouvoir ou par ses alliés/apparentés face à ses principaux adversaires (RN, dont le score a explosé depuis le 1er tour des régionales de 2004– quinze ans –, et plus récemment les écologistes), le LREM s’engage par l’enrôlement/endoctrinement réservé à ces jeunes à captiver un électorat (qui pourrait être tenté par la mouvance écologiste ou le tout sécuritaire). Par le SNU, il continue d’instrumentaliser les rhétoriquesde ses opposants et dans la foulée celles d’un féminisme institutionnel (orienté parité plus qu’égalité). On peut alors facilement en déduire que les contribuables français paient, par ce dispositif et au travers des collectivités territoriales et de l’Éducation nationale, les campagnes électorales de LREM et en particulier la course à la réélection du Président.

Joelle Palmieri
28 juin 2019

 

Pour rappel

2 036 adolescents de 15 à 16 ans (« à égalité filles et garçons ») ont rejoint le 16 juin dernier différents établissements publics – internats scolaires, logements universitaires, centres de loisirs ou de formation… –, dits « maisonnées » (dans le texte) de treize départements français. Ces jeunes « volontaires » avaient terminé leur année de 3; ce sont des lycéens en seconde générale, seconde professionnelle, en lycée agricole, en CAP, des décrocheurs, des personnes en situation de handicap, en milieux urbain et rural. Cet internat sera suivi entre juillet 2019 et juin 2020 d’une « mission d’intérêt général » de même durée auprès d’associations, de collectivités territoriales, d’institutions ou d’organismes publics, ainsi qu’auprès de « corps en uniforme ». Cette partie a, selon le gouvernement, pour but de « détecter les difficultés de certains jeunes (lecture, santé, insertion, etc.) ». Ce premier temps (internat puis mission) dit « de cohésion » deviendra obligatoire pour tous les autres jeunes n’ayant pas suivi cette « expérimentation ». On sait d’ores-et-déjà que des sanctions sont prévues pour les objecteurs : interdiction de s’inscrire au bac, aux examens diplômants, aux concours de la fonction publique mais aussi au permis de conduire.

Dans un deuxième temps, chaque jeune, alors âgé de 16 à 25 ans, sera incité à poursuivre par une période d’« engagement de trois mois [à un an], exclusivement volontaire, dans nos armées, nos forces de police, chez nos pompiers, nos gendarmes, dans des collectivités ou encore dans les associations », une forme de « service civique » non rémunéré. Cette « phase facultative d’engagement » devrait se généraliser à l’ensemble du territoire national « avant 2026 », mais aucune date n’est encore fixée. Le mécanisme, étendu à 40 000 jeunes en 2020, concernera 800 000 jeunes chaque année.

Le premier jour de leur conscription, des images montrent des jeunes en uniforme (obligatoire) – une tenue qui sera selon le secrétaire d’État, « à la fois utilisée pendant le service national, mais qui pourra aussi être portée par les jeunes pour toutes les cérémonies patriotiques qui sont organisées pour commémorer les grandes dates de l’Histoire » –, en train de chanter la Marseillaise ou de hisser des drapeaux français. L’encadrement (450 agents au moment de l’expérimentation, soit un professionnel pour quatre jeunes) est majoritairement composé de militaires en fonction ou à la retraite, de gendarmes, policiers ou pompiers – majoritairement des hommes – de personnels de l’Éducation nationale, d’élèves des écoles d’État (ENA, polytechnique…), de commerce, de jeunes réservistes (âgés de 21 à 25 ans), d’étudiants en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), de diplômés du BAFA ou BAFD ou de personnes directement formées par l’armée.

Le coût de construction, d’alimentation des participants, de leur transport, de la location des internats et de la masse salariale est estimé à 1,6 milliard d’euros par an (le travail des « volontaires » est gratuit). Il est directement imputé au ministère de tutelle à savoir l’Éducation et non celui de la Défense ou encore de l’Intérieur. De la même façon, l’hébergement en « maisonnées » est structurellement pris en charge par les collectivités territoriales (CT) qui accueillent les conscrits. Ces jeux de vases communicants financiers dissimulent de fait une nouvelle augmentation du budget militaireet de la sécurité alors qu’on assiste à des réductions des dotations accordées aux CT et aux autres ministères (notamment suppression de 1 800 postes à l’EN).

 

4 réflexions au sujet de « SNU : l’autoroute électoral du pouvoir politique »

  1. Une tres bonne chose , mais comme le disent certains militaires , un service national exclusivement version militaire serais bien mieux et surtout plus utile , car au delà des formations militaires , ça permet de recadrer les plus désocialiser , d’avoir un œil sur les extrémistes et de les ficher et au besoin de les parquet en centre de détention , le service militaire a permis à bon nombres de reprendre leurs vies en main avant qu’il ne soit trop tard …

    1. L’humanisme et l’humanisation des personnes, qu’elles soient socialisées ou plus vraiment, ne passe pas par la discipline et l’ordre mais plutôt par l’échange, le partage de points de vue, le developpement du libre arbitre, la subjectivisation. Pas sure que le service militaire aide à ce point.

    2. D’accord avec joelle palmieri. Et ça dépend de quelle discipline… car si c’est pour lobotomiser des cerveaux dont la conscience est encore fragile, pour leurs administrer une bouillie idéologique comme le font tous les jours les médias, alors des générations seront perdue pour la lutte pour la vraie démocratie !

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