Grande mélancolie

IMG_3286Depuis 2002, est-ce personnel ? je ne le crois pas, une grande tristesse politique m’habite. Cette tristesse, devenue mélancolie, trouve son apogée avec le résultat de ce premier tour des élections présidentielles françaises. Pas de surprise, juste une immense mélancolie. Celle qui vient des tripes, remonte à la gorge, lors du dépouillement des bulletins au bureau de vote de mon village du Var, quand j’entends puis écoute le nom « Le Pen » répété sans fin. Les votants ? mes voisins. Un sur trois. J’ai eu beau me jeter à corps perdu sur Twitter à la recherche d’un apaisement national, ma détresse n’en a été qu’accrue.

Alors, comme en 2002, puis lors des échéances qui ont suivi, j’ai de nouveau essayé d’isoler les responsabilités. La droite, le PS, l’intelligentsia politique… et depuis longtemps le mépris, celui réservé à ceux considérés sans savoirs, sans mérite, sans intelligence, sans intérêt. La logique qui consiste à croire que tous ces gens sont consultés « de fait », car ont besoin qu’on les guide, qu’on parle en leur nom, incapables qu’ils sont d’avoir des idées, de penser par eux-mêmes (« les » femmes sont en première ligne). Une dialectique de l’invisibilité. Et depuis lors, je me demande toujours quel changement impulser pour rompre avec ce système qui crée la peur, le fatalisme et les évidences, dont les illusions de sortie du bipartisme « à la française » (sous-entendu dépassé) et de disparition de l’extrême-droite.

Ce premier tour est notre héritage collectif. Il incarne notre perte de valeurs : l’humanisme, le partage des richesses, la justice, l’égalité, la liberté. Avec Marine Le Pen et ses électeurs, les valeurs qui courent en toute banalité sont le racisme, la xénophobie, le populisme, le souverainisme, le familialisme. Avec Emmanuel Macron et les siens, les valeurs mises en avant sont l’élitisme, le classisme, le libéralisme. Alors, au deuxième tour de ces élections, « on » nous parle de choix ou de non-choix, de « faire barrage » à celle qui ouvre le plus ostensiblement le chemin du pathos, de la peur de l’horreur. On nous présente la situation comme une opposition binaire, et on fait référence à la tragédie 2002. Mais, en regardant de plus près, n’assiste-t-on pas, depuis ces quinze dernières années, à une combinaison gagnante libéralisme/fascisme, ce qui historiquement a déjà fait ses preuves ?

Cherchons les convergences. Le Pen veut expulser les « immigrés », pauvres, et réduire, voire supprimer, les aides sociales des familles immigrées. Macron veut faire travailler davantage ou réduire les aides sociales (AS) des pauvres. Les uns sont ouvertement désignés comme immigrés, les autres sont par défaut « français ». Les deux sont asexués, mais hormis les « clandestins » fustigés par la première comme potentiellement terroristes et donc des hommes, la plupart d’entre eux sont des femmes, mères de famille, et en particulier racisées, car majoritairement bénéficiaires des AS, touchées par la précarité et le chômage. En outre, les deux candidats ont une vision centralisatrice, hiérarchique et exclusive de l’exercice du pouvoir : pas de participation, pas de consultation, ce qui contredit l’idée d’égalité. Tous deux valorisent la compétition, le mérite, la concurrence, aux niveaux individuel et collectif.

Avec ces deux personnages et leur électorat, on assiste à la banalisation des institutionnalisations croisées du racisme et du classisme, et en sous-main du sexisme, même si les candidats s’en défendent : Macron se proclame « candidat de la parité » et Le Pen déclare être favorable à la « lutte contre l’islamisme qui fait reculer [les] libertés fondamentales » des femmes. Dans la foulée, on entérine l’amalgame ordonné entre pouvoir et domination. Pourtant la domination inclut l’aliénation et l’oppression, ce vers quoi on tend dans les deux cas, alors que le pouvoir peut être entre les mains de tou.te.s. Résultat : plus de marges, plus de liberté.

Ma mélancolie est à son comble.

Joelle Palmieri
27 avril 2017

4 réflexions au sujet de « Grande mélancolie »

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